La Cliodynamique, de la muse de l’Histoire Clio et de dynamique – le mouvement – est une discipline empruntant à l’anthropologie, à l’histoire, aux sciences sociales, à l’informatique ainsi qu’à la biologie évolutive. Son objet est d’étudier l’Histoire au travers de processus, notamment évolutifs, qui ont pris place. Autrement dit, la Cliodynamique s’intéresse à comprendre quels rôles ont pu jouer les structures sociétales, quelles sont les interactions entre sociétés dans l’Histoire et d’évaluer quantitativement, au travers de mesures cliométriques (économétrique, démographique…) leurs importances.
Il y a deux différences majeures avec la discipline historique : son objet d’étude et sa méthode. La discipline classique s’intéresse aux faits tandis que la Cliodynamique s’intéresse à les inclure dans des dynamiques générales. Leurs objets d’études étant différents, il est évident que la méthode ne peut que l’être également. La première cherchant à établir des faits, repose essentiellement sur l’analyse de données historiques et archéologiques ponctuelles, quant à la seconde, qui s’intéresse à des processus, elle porte un intérêt particulier aux données quantitatives et dynamiques – dont on possède un suivi temporel – afin de pouvoir faire le tri parmi les différentes manières de donner du sens à un ensemble de faits historiques.
Cependant, il n’est pas question de nier l’importance des grands Hommes, pas plus que de tomber dans un déterministe nihiliste. L’objectif de la Cliodynamique est de comprendre si il y a eu des processus ayant joué des rôles dans le cours de l’Histoire et si oui, quels sont-ils et comment les mesurer, sans pour autant qu’ils y soient des causes exclusives.
Un exemple au cœur de la recherche actuelle est l’évolution de la complexité sociale. La plupart des anthropologues et des historiens s’accordent sur le fait que, des chasseurs cueilleurs à la révolution industrielle en passant par l’émergence des premiers états, la complexité des sociétés a augmenté. Il semble donc qu’il y est au moins un processus mettant en jeu les décisions individuelles de plusieurs millions d’acteurs et qui tend à converger vers une dynamique macroscopique. Est-ce une pure contingence ou il y a-t-il une raison plus profonde à cela ? Certains rétorqueront justement qu’il existe autant de définition de la complexité que de spécialistes de ces disciplines mais cela nous amène à une autre question fondamentale en cliodynamique :
Peut-on définir précisément la « complexité sociale », et si tel est le cas comment pouvons nous la mesurer ? Ces deux interrogations sont typiques des réflexions que cherchent à mener les Cliodynamicien.nes.
Les enjeux de la Cliodynamique
Plus que des questions sur l’Histoire, la Cliodynamique est également source d’applications. Mieux comprendre la structure de nos sociétés, leurs histoires et le rôle des Hommes est une clé de voûte dans la résolution de problèmes actuels. Par exemple, comprendre quelles sont les tensions entre un système économique, un contexte sociologique ou écologique et des contraintes politiques tout en inscrivant cette compréhension dans un cadre plus général peut considérablement améliorer notre aptitude à faire face à un problème. On peut également penser au fait que nos sociétés sont composées de groupes, que ce soit des groupements politiques, des entreprises, des classes sociales, des associations. Le fonctionnement de ces « groupes humains » régit notre vie en communauté, ainsi comprendre leurs capacités à fonctionner en tant que groupe, leurs aptitudes à coopérer à grande échelle et leur impact sur la société est un enjeu majeur pour l’amélioration de notre condition collective.
Cela veut-il dire que nous pouvons faire des prédictions avec la Cliodynamique ? La réponse est oui et non. Peut-on prédire un séisme ? La réponse est non, cependant nous pouvons modéliser l’ensemble des contraintes et des fractures et estimer la probabilité qu’un séisme se produise à un certain endroit. C’est exactement ce que propose la Cliodynamique qui en étudiant les processus historiques peut in fine nous permettre de modéliser certains contextes et de faire des prédictions. On ne peut pas être sûr qu’une révolution aura lieu dans un pays, en revanche, nous pouvons comprendre l’ensemble des causes ayant menées à des révolutions dans le passé et produire une analyse quantitative du risque.
Outre l’aspect sociétale, la Cliodynamique (avec d’autres disciplines) est porteuse d’une ambition méthodologique. Développer un cadre expérimental, produire des modèles mathématiques et les tester grâce à des données quantitatives et des simulations informatiques. Et ainsi pouvoir comparer les théories d’anthropologie ou de sociologie historique entre elles et en développer de nouvelles.
Bien sûr, les sciences humaines ont déjà recours à des expériences, mais leur statut diffère grandement de leur utilisation en science « dure » comme la physique. Apporter un cadre mathématique permet non seulement un critère de comparaison stricte entre les différentes théories mais aussi de sélectionner efficacement les plus performantes.
Faire de la Cliodynamique
Tout cela est bien ambitieux mais, comment parler de l’histoire sans parler de faits particuliers ? Comment pouvons nous prétendre tirer une généralité de l’ensemble des petites histoires de chaque société qui constituent la grande Histoire ? Trop souvent les auteurs qui ont voulu adresser l’Histoire comme une science, ont soit réduit les sociétés à des choses simples – et peu définies – soit justifiés leurs thèses par des exemples particuliers. Ce sont là les écueils originels qui sont aujourd’hui au cœur de l’antagonisme entre les tenants des méthodes classiques et les partisans de nouvelles approches.
Aujourd’hui, et grâce aux outils développés pour appréhender les systèmes complexes et l’avènement de l’informatique, la Cliodynamique a pour ambition d’apporter un vent nouveau dans notre manière d’appréhender l’Histoire. Les bases de données anthropologiques et archéologiques ont déjà eu un effet transformateur sur leur propre discipline et elles sont les pierres angulaires de cette nouvelle approche. L’idée est de classifier massivement des données historiques telles que des données économiques, démographiques, archéologiques, anthropologiques à l’aide de spécialistes de ces disciplines de sorte à les rendre propre à l’analyse statistique et à tester des théories. En bref, elles permettent de faire de l’histoire comparative sous stéroïdes.
La Cliodynamique est une science historique au même titre que l’astrophysique, la géologie ou la linguistique, cela signifie que l’on ne peut pas vraiment reproduire des événements passés et organiser des expériences. Ainsi d’un point de vue méthodologique, faire de la « clio » consiste souvent à faire des prédictions sur des données du passée. On formule un modèle, on y inclut une partie des données et on voit si l’on peut prédire les suivantes, de cette manière on peut tester la fiabilité des théories sans pour autant devoir organiser des expériences.
Évidemment, toutes les interrogations n’ont pas leurs réponses et l’Histoire n’a pas encore fait son chemin vers les systèmes complexes comme la Biologie a récemment pu le faire. Des voies restent à ouvrir, des théories à inventer et des modèles à tester.
En bref,
Beaucoup de sujets ont été abordés tels que l’épistémologie, l’historiographie, le statut de l’expérimentation en science sociale, les applications de la cliodynamique ou les data sciences, et ce sont autant de sujets qui feront l’objet d’articles futurs. Mais en définitif, si vous ne deviez retenir qu’une chose de cet article, ce serait ces affirmations :
Il est faux que la Cliodynamique vise à remplacer l’Histoire en tant que discipline, en revanche il est vrai qu’elle a pour ambition d’améliorer notre compréhension de cette dernière.
Il est faux que la Cliodynamique propose une vision déterministe de l’Histoire, en revanche il est vrai qu’elle cherche à estimer l’importance relative des processus et des grands Hommes.
Il est faux que la Cliodynamique est une discipline menée par des mathématiciens et des physiciens mais il est vrai de dire que la Cliodynamique est un champ d’étude trans-disciplinaire recrutant ces chercheurs aussi bien en anthropologie, qu’en histoire, en physique, en biologie, en sociologie et en data science.
Quelques lectures d’introduction :
Peter Turchin, Arise Cliodynamics, Nature 2008 (Article)
Peter Turchin, Toward Cliodynamics – an Analytical, Predictive Science of History, 2011 (Article)
Peter Turchin, Ultrasociety (Livre)
Les articles d’introductions de Rémi Sussan 1 et 2
Les articles de la SFC !
Pour aller plus loin :
Jack Goldstone, Revolution and Rebellion in the Early Modern World (Livre)
Peter Turchin, Age of Discord (Livre)
Jared Diamond, A Natural experiment of History (Livre)
Peter Turchin & Sergey Nefedov, Secular Cycle (Livre)
Nicolas Salerno, 2020