Penser en système : Les archétypes

Les archétypes

Dans cet article, nous vous proposons d’approfondir la notion de “système” introduite précédemment et de passer en revue quelques archétypes bien connus de ces systèmes.

Quel est le point commun entre la propagation d’un virus et la croissance de la population ? A quoi se reconnaît précisément une addiction, une limite, une résistance ou un emballement ? C’est ce que nous allons essayer de voir.

Dans le dernier article on a proposé de revoir notre rapport à la causalité. En proposant un langage visuel qui met en valeur des phénomènes causaux contre-intuitifs, comme la causalité éloignée et les boucles de rétroactions par exemple, on a vu qu’on pouvait décrire ces phénomènes comme des systèmes. On y reviendra dans un article dédié au sujet mais avant de plonger dans une définition plus précise, il est important de comprendre qu’un système n’est pas un objet en soi. C’est une notion à laquelle on recourt pour faciliter la description de phénomènes qui impliquent de nombreux liens causaux. Un peu comme quand on utilise un dessin pour illustrer un propos, les systèmes sont des abstractions pour mieux comprendre ce que l’on souhaite étudier.

Alors c’est quoi exactement un système ? Une définition simple consiste à dire qu’il s’agit d’un ensemble d’éléments qui interagissent entre eux. Un système est donc différent d’une simple collection d’éléments : ses composants construisent un “tout”. La dernière fois on avait pris l’exemple d’un embouteillage pour illustrer ce que pouvait être un système mais on peut aussi penser à des systèmes matériels. Un ordinateur ou une voiture sont composés de différentes parties qui fonctionnent ensemble. Par contre, une caisse à outils ou une trousse ne sont que des amas d’objets indépendants les uns des autres. Je peux tout à fait utiliser le marteau de ma caisse à outils sans avoir besoin de tout le reste. Essayez d’utiliser les pièces détachées de votre ordinateur et voyez le résultat…

Pour représenter ces systèmes, on l’a vu précédemment, on utilise les diagrammes causaux. Ils permettent d’expliquer comment les différentes parties fonctionnent entre elles et quelle est la nature de leurs liens. Ils nous donnent à voir la structure causale des systèmes. Certaines de ces structures sont récurrentes : ce sont elles qu’on appelle les archétypes de systèmes. On peut les retrouver dans des milieux très différents : les systèmes sociaux, biologiques, écologiques, économiques… Et comme on va le voir plus tard, les connaître et les reconnaître peut s’avérer très utile pour se faire une idée plus intuitive de certains phénomènes.

L’Escalade

Si vous vous souvenez de l’embouteillage de l’article précédent, vous vous souvenez peut-être qu’on avait vu que sa structure était une boucle amplificatrice. Cette forme est en fait un des archétypes des plus familiers qu’on peut rencontrer, on l’appelle “l’Escalade”. On le retrouve lorsque plusieurs acteurs (ou facteurs) amplifient mutuellement leurs actions.

Dans la sphère sociale, c’est l’archétype classique des conflits ou des situations compétitives : on va typiquement retrouver une escalade lorsque chacune des deux personnes cherche à sortir vainqueur d’un échange. La conséquence directe est l’apparition d’une surenchère des réactions.

On retrouve cet archétype dans des milieux et à des échelles différentes : la course à l’armement entre le bloc de l’Est et le bloc de l’Ouest pendant la Guerre Froide est un bon exemple d’escalade géopolitique. En biologie évolutive, lorsque deux espèces se répondent et s’adaptent l’une à l’autre, on a à faire à une escalade où les stratégies vont en s’améliorant. Les proies obtiennent de meilleures défenses ce qui favorise l’apparition de moyens de prédation plus efficaces chez les prédateurs, etc.

Dans l’article de la dernière fois, on avait dit qu’une boucle amplificatrice menait à une amplification exponentielle d’un phénomène : un emballement. L’archétype de l’Escalade suit tout à fait cette tendance puisqu’il se représente par un enchaînement circulaire de réponses positives (“+”). Pour rappel, ces liens représentent la façon dont la transformation d’une cause affecte ses effets. Si l’amplification d’une cause amplifie ses effets, on parle de réponse positive mais si cette amplification réduit les effets, on parle de réponse négative (“-”). Ici, tous les liens sont positifs, on est donc bien en présence d’une boucle amplificatrice (on pourra regarder l’article précédent pour les notations).

Mais que se passe-t-il alors quand deux boucles de rétroaction interagissent ? Que se passe-t-il lorsqu’une boucle amplificatrice est liée à une boucle de régulation ? A quel type de phénomène cela peut-il correspondre dans la réalité ?

Les Limites de la Croissance

Pour le comprendre, prenons un exemple concret : la croissance de la population mondiale. Depuis quelques siècles, elle semble subir un emballement : plus il y a d’humains, plus ils se reproduisent et plus ils se reproduisent, plus ils sont nombreux (merci Sherlock !). Si on regarde cette évolution à l’échelle de l’humanité, la croissance semble exponentielle. Pourtant on sait bien que cet emballement va heurter un mur à un moment ou un autre. La population ne pourra pas indéfiniment subvenir à ses besoins tout en maintenant une telle explosion démographique. Un tel système subit toujours les contraintes de son contexte, de son environnement et c’est d’ailleurs ce qu’on observe déjà aujourd’hui avec le déclin de la croissance de la population.

L’Addiction

Il existe un archétype peut-être plus connu encore que les deux précédents. C’est “l’Addiction”. Que ce soit l’addiction à une substance (le sucre, l’alcool, une drogue, etc), à un objet (le téléphone ou autre), tout système addictif présente une structure commune. On se rend généralement dépendant d’une solution immédiate pour pallier aux symptômes d’un problème plus profond. Cette solution symptomatique que l’on choisit par facilité, par économie d’énergie ou parfois à défaut de ne pas savoir comment faire autrement, nous empêche de remédier aux causes profondes du problème. Elle vise un effet à court-terme qui ne résout jamais le problème. Au mieux elle le reporte, au pire, elle l’empire.

Pour changer un peu des addictions les plus communes, et pour montrer qu’on peut généraliser ce phénomène à des échelles bien plus grandes qu’un individu, regardons l’addiction de notre société à l’énergie provenant de ressources fossiles. Une société a des besoins en énergie. Pour les satisfaire, elle peut soit choisir un modèle de société basé sur les énergies fossiles, soit un modèle plus sobre (qui repose sur les énergies renouvelables par exemple). Le premier choix fonctionne à court-terme, tant que l’énergie fossile est disponible. L’autre choix, de part le fait que l’énergie soit difficilement accessible, amène naturellement à la réduction des besoins en énergies. On peut comparer cet exemple à l’addiction du tabac pour le comprendre plus intuitivement : quand on a un besoin fort en tabac et que le tabac vient à manquer, on trouve un moyen de moins en consommer.

* Notez que l’exemple reste ambigu puisque les énergies renouvelables restent dépendant des énergies fossiles.

La Résistance aux Changements

Le prochain archétype s’appelle la “Résistance aux changements”. Vous l’avez peut-être déjà expérimenté chez vous, au travail ou peut-être quand vous en avez remarqué certains effets qui allaient à l’opposé d’une nouvelle décision politique. Il s’agit de l’archétype où une solution, a priori très efficace pour résoudre un problème, a finalement des conséquences qui viennent empirer le problème initial.

Une image pour illustrer cet archétype qui vous parlera probablement est le rejet de greffe. Imaginez une personne à qui il faudrait changer un organe, le foie par exemple. La greffe qu’on effectue sur le patient semble a priori une solution efficace, le patient pourra poursuivre sa vie comme si de rien était. Pour ça encore faut-il prendre en compte tout ce qui pourrait mal se passer avec la greffe. Il suffit d’un seul élément pour que ce changement se transforme en cauchemar pour le patient. Autre exemple : l’adaptation des bactéries aux antibiotiques. Ces armes biologiques sont très efficaces pour soigner des maladies bactériennes. Mais, utilisés à répétition, les bactéries finissent par s’adapter aux antibiotiques. On se retrouve alors sans défense face aux maladies…

L’Érosion des Objectifs

Le dernier archétype dont on va parler s’appelle “l’Érosion des Objectifs”. Il apparaît quand un écart s’accroît entre des objectifs fixés et la réalité. On peut penser par exemple à l’érosion des standards de qualité d’une entreprise qui n’arrive pas à maintenir un certain niveau parce que ça lui coûte trop cher, ou bien la réduction des objectifs de moyenne générale qu’on peut se fixer en début d’année au vue de la difficulté des examens. Quand cette tension est augmentée, le système a deux façons de la réduire pour garder un équilibre : soit une action corrective est prise pour “pousser” la réalité vers l’objectif visé, soit réduire les objectifs pour les rapprocher de la situation réelle et actuelle.

Prenons un coureur novice et admettons qu’il commence ses entraînements avec pour objectif de courir un marathon (soit 42 km) au bout de 6 mois d’entraînements. Si au bout d’un certain temps, disons 3 mois, il se rend compte que ses entraînements ne sont pas assez efficace pour être capable de courir le marathon au bout de 6 mois, il va soit doubler ses entraînements (prendre une action corrective), soit céder à ses pressions internes et repousser l’objectif de courir le marathon à plus tard ou bien tenter le demi-marathon (réduire ses objectifs).

Tous ces archétypes constituent les “murs porteurs” de l’approche systémique. Ce sont des moyens plutôt intuitifs de décrire des situations complexes que nous expérimentons tous les jours dans de nombreux domaines. Les reconnaître nous aident à dépasser une vision linéaire des événements en reconnaissant des processus récurrents et les structures causales sous-jacentes à ces systèmes. Une fois un archétype identifié, il devient alors plus simple d’appréhender un problème et de trouver des leviers d’action pour le solutionner. Dans le prochain article nous plongerons encore un peu plus profondément dans la notion de système en faisant le lien entre sa structure causale et son comportement.

Notre aventure dans le monde des systèmes ne fait que commencer…

Capucine Paboeuf, 2022

Merci Nicolas pour le soutien, les rectifications et les échanges et, bien sûr, merci aux relecteurs pour leurs retours.

Quelques références :